Je construis du temps par fragments. Avec cette matière trouvée, je rêve, dessine, sculpte.
Enfant fulgurée par le regard d’un peinte, ami de mon père. Comme la cible peinte au centre de ses tableaux. D’un rouge brûlant. Beaucoup plus tard, j’ai posé un œil découpé sur une tache d’encre et j’ai retrouvé son visage.
Toute petite déjà, je partais à la cueillette de fragments trouvés sur mon chemin. Feuille de tremble extraite de l’hiver. Réseau délicat dans ma main. Archéologue sur les traces de l’infime.
Tout a commencé par un petit déplacement. Juste un peu plus haut, à droite, non un peu plus à gauche, voilà, ça y est. L’œil est ailleurs. À sa place, un trou. Le paysage de papier s’ouvre sur un mur. Du blanc. Je touche le fond.
J’isole son œil. Il s’arque et s’étire d’abeilles en araignées. Les cils aux longues pattes mordent l’espace. Homme grimé de démesure.
Dans une volière géante il y a longtemps, un homme-lézard s’enroule autour d’un câble souple. L’homme et la ligne, une histoire d’amour et d’équilibre. Je resterai captive de cette magie.
J’applique une peau d’encre sur un visage blanchi. Le noir se love aux moindres aspérités. Folle étreinte. J’assiste aux fiançailles de l’obscur et de la lumière.
Porosité de la matière. L’argile et le papier sont traversés par ce qui les touche, transformés. Je résiste ainsi à la dureté d’un regard, d’une attitude. Celle qui ignore notre sensibilité.
Le garçon arrose un arbre mort. Sur les pas de son grand-père au paysage arraché par la guerre. Je fais pousser une racine sur sa tête de foin.
Du jardin à l’atelier. Sur un grand escabeau, je tisse les tiges des gloires du matin, éprise de leur haute voltige le temps d’une saison. Elles deviendront cils démesurés, hérisson des mers, coiffes jardinières.